Qui crée l’art dans « Les Habits neufs de l’empereur » ? Les couturiers des vêtements invisibles, le petit garçon qui crie : « L’empereur est nu ! » ou encore l’empereur lui-même ? Qui est l’empereur de l’histoire ? Qui sont les artistes, les escrocs ?
Prenons le conte « vêtements neufs de l’Empereur » comme une histoire sur l’ineffable.
Prenons l’art sous la forme de conte : pour que l’art existe, il faut l’imaginer. Décrite par S. T. Coleridge (1817), la « suspension consentie de l’incrédulité » est indispensable, non seulement pour l’œuvre d’art, mais aussi pour l’art lui-même. C’est une sorte de croyance ou de dépendance. Marcel Duchamp a déclaré : « L’art provoque la dépendance, c’est une drogue pour le collectionneur, l’artiste, pour toute personne en lien avec l’art. L’art n’existe pas en tant que tel. C’est une drogue. Comme la religion pour les Russes… » (interview avec Calvin Tomkins, 1964). Prenons l’empire pour une illusion qu’il n’y a pas d’illusion. C’est notre seule réalité, où ce que nous voulons chevauche ce dont nous avons besoin, qui se confond avec ce que nous méritons. L’empire, c’est un état d’esprit, un mode de vie. Il s’agit de l’empire du possible : entretenir l’illusion que seul l’empire peut être vécu ou imaginé.
Mais avec l’art surgit l’inimaginable, l’inconcevable, l’impossible, l’ineffable. L’inimaginable résiste à la corruption inévitable de l’empire. Mais qui crée de l’art ici ? Les couturiers des vêtements invisibles ? Le garçon qui crie « L’empereur est nu ! » ? Ou encore l’empereur lui-même ? Qui est l’empereur de l’histoire ? Qui sont les artistes, les escrocs ?
Il existe trois types d’art dans « Les Habits neufs de l’empereur ». Nous découvrirons leurs différentes facettes. L’émergence de l’inimaginable et de l’ineffable révoque l’ordre établi en nous et parmi nous. Voilà l’effet de l’art, voilà de quoi il en retourne.
Sreten Ugričić est chercheur en sciences humaines et sociales à l’université de Lucerne. Il est né en 1961 en Yougoslavie, un pays qui n’existe plus. Il est l’auteur de dix livres : romans, nouvelles, essais et textes théoriques. De 2001 à 2012, il dirige la Bibliothèque nationale de Serbie. En janvier 2012, après avoir soutenu publiquement la liberté d’expression en Serbie, le ministre serbe de l’Intérieur l’accuse d’encourager le terrorisme. Il doit quitter ses fonctions et, dès lors, il vit à l’étranger.